Souvenirs de Saint Laurent

Les bracelets Saint Laurent qui ornent son bras font un doux cliquetis à chacun de ses gestes tandis que les murs qui nous accueillent sont d’entrée de jeu un régal pour les yeux, mêlant avec élégance art asiatique et imprimés audacieux. Nous sommes chez Dominique Deroche, celle qui a travaillé pendant quarante ans aux côtés de M. Saint Laurent et de M. Bergé, en tant responsable du service de presse pour la Haute Couture.

Aujourd'hui, près de 20 ans après le dernier défilé Haute Couture d'Yves Saint Laurent, Dominique Deroche revient sur ses années magiques passées aux côtés de ce génie passionné qui donna un vrai pouvoir aux femmes à travers ses créations et reste l'un des créateurs les plus importants de tous les temps.

Je suis tombée amoureuse de la Couture. C’était comme dans Alice au Pays des Merveilles.

Le plus fou, c’est que Dominique Deroche commença sa carrière chez le grand couturier presque par hasard.

 Je n'étais pas très bonne élève à l'école, alors mon père m'a envoyée en Angleterre pour apprendre l'anglais. Un de mes amis venait de commencer à travailler chez Saint Laurent et m'a appelée pour me dire qu'ils cherchaient à embaucher des gens. 

Nous sommes alors en décembre 1965, quelques mois seulement après que M. Saint Laurent a présenté sa légendaire collection automne-hiver rendant hommage à Piet Mondrian avec une série de robes en jersey de laine géométriques colorées. Deroche  commence alors à travailler dans le célèbre atelier d'Yves Saint Laurent de la rue Spontini, où tout le monde travaillait ensemble, comme en famille.

J'ai vite appris à être une femme Yves Saint Laurent. C’était une façon de parler (jamais trop fort), une façon de bouger, une façon de s'habiller, c'était une élégance qui venait directement de M. Saint Laurent.

Cela se passe au milieu des années 1960 et l’air du temps était en train de changer. Des mouvements tels que l’art, la littérature ou la mode étaient très actifs, les barrières culturelles se brisaient, le pouvoir des manifestations dirigées par les jeunes de 1968 n’était pas encore arrivé, mais il y avait déjà du changement dans l'air. Saint Laurent voulait capturer cela, lassé de n'habiller que des clients fortunés. Il voulait habiller une clientèle plus jeune de manière plus informelle, mais toujours élégante.

En septembre 1966, Dominique Deroche participe à l'ouverture du célèbre magasin Rive Gauche, rue Tournon situé comme son nom l’indique rive gauche à Paris.

 Il y avait des stylistes qui avaient des boutiques à Saint Germain des Prés, mais M. Saint Laurent a été le premier couturier à ouvrir une boutique. C'était révolutionnaire.

La rue Tournon était une petite rue endormie juste à côté du Sénat. Avec des murs et des plafonds en laque rouge somptueux, de l'art moderne juxtaposé à côté du crêpe et des imprimés aux couleurs vives, c'était l'antithèse de l'élite politique traditionnelle qui courait dans les couloirs juste à côté.

Et pourtant, le lendemain de l'ouverture de la boutique Rive Gauche, des rangées de voitures se sont garées alors que le "tout Paris" (et New York, et Londres) affluait au 21 rue Tournon pour les fameuses gabardines à double boutonnage, les tailleurs-pantalons révolutionnaires et bien sûr, le célèbre Smoking Yves Saint Laurent.
 

Il n'y avait rien de plus beau qu'un Smoking Yves Saint Laurent. C'était un vêtement qui pénétrait votre imagination et était immédiatement reconnaissable. Catherine Deneuve disait que lorsqu'elle arrivait à un événement ou à un dîner vêtue de son smoking Yves Saint Laurent, elle se sentait la plus élégante.

En effet, ce qui a défini le succès d'Yves Saint Laurent, c'est qu'il a permis aux femmes de se sentir belles et fortes.

Il (M. Saint Laurent) a apporté aux femmes un uniforme, une allure. Et pas une allure mise en scène ou feinte, une vraie allure. Il a modernisé les vêtements et la façon dont les femmes s'habillaient - vous pouviez aller au bureau en tailleur-pantalon, échanger votre haut avec un soutien-gorge, une paire de sandales et vous étiez prête pour votre soirée. Vous n'aviez pas besoin de vous changer trois fois.

Et chaque pièce Saint Laurent avait une poche.

« Il y a toujours eu des poches dans les vêtements Saint Laurent.» affirme Dominique Deroche en plaçant élégamment sa main dans la poche de sa veste imprimée léopard Yves Saint Laurent.

M. Saint Laurent a vu l'élégance dans le mouvement - le mouvement d'une femme écartant sa veste pour glisser sa main dans la poche de son pantalon.

Cette notion de mouvement a transcendé toutes ses collections et même les jupes et robes Couture ont toujours été réalisées avec une ample poche latérale.

M. Saint Laurent ne voulait pas que ‘sa’ femme se tienne de manière maladroite sans aucun endroit où poser ses mains. Ainsi les femmes étaient toujours sûres de pouvoir mettre les mains dans les poches.

C'était chaque détail, chaque subtilité, ce souci de la minutie inné et la passion qui ont fasciné Dominique Deroche et ont fait qu’elle a dédié plus de quarante ans de sa vie à Yves Saint Laurent.

Nous étions comme une famille et aujourd'hui il n’y a presque plus personne. M. Saint Laurent est parti, M. Bergé est parti, Mme Muñoz, la directrice du Studio, est très malade et ne peut pas parler — je sens qu'il en va de ma responsabilité de partager ces histoires, ces moments merveilleux qui furent si spéciaux autant pour la période de mode et que pour cet homme si unique.

La passion Saint Laurent m'habite encore. La maison Saint Laurent coule dans mes veines.