Les pièces à collectionner dès maintenant, avec Alexander Fury

Une question qu'on me pose souvent est : que faut-il collectionner en ce moment ? C'est une question compréhensible, étant donné que je passe ma vie à chercher, souvent en vain, mais certainement sans relâche et sans aucun remords, les modes du passé. Et cela aurait été beaucoup plus facile si j'avais acheté cette mode la première fois qu'elle est sortie, quand je pouvais – si j'avais mis l'argent en hiver 2004 pour le look 11 de la collection Balenciaga de Nicolas Ghesquière avec tweed et peau de mouton, au lieu de passer presque cinq ans à le chercher sur Google (j'ai d'ailleurs trouvé la veste, sur Resee, il y a un an environ).

Je réfléchis beaucoup à ce qui vaut la peine d'être collectionné aujourd'hui : parce que, en tant que journaliste de mode, je suis sans cesse à la recherche du nouveau ; et parce qu'en tant que collectionneur, je vois cela comme une de mes responsabilités d'être témoin de mon époque. Si je voulais m'enfoncer complètement dans la nostalgie, je devrais aller travailler dans un musée. J'adore la mode, et je suis immergé dedans au quotidien. Je vais à environ 100 défilés chaque saison, voyant des choses que je déteste, mais aussi beaucoup de choses que j'adore et sur lesquelles j'obsède. Et bien que je passe la grande majorité de mon temps sur le vintage en tant que collectionneur, je porte principalement des vêtements neufs. Je pratique ce que je prêche, et j'essaie de soutenir les créateurs dans ma garde-robe – et ma collection – que je soutiens dans la presse. En termes simples, c’est une question de mettre mon argent là où est ma bouche.

Alors, qu'est-ce qui vaut la peine d'être acheté ? Quelle est la pièce vintage que l'on collectionnera demain ? Pour moi, le meilleur vintage est quelque chose qui incarne un moment précis – le summum de la silhouette ou du style d’une époque particulière. Pour les années 70, je veux du Saint Laurent ; mes années 80 appartiennent à Claude Montana et Christian Lacroix. D'un autre côté, le recul est primordial – il est difficile de regarder les collections et les créateurs actuels et de deviner ce qui va marquer la mémoire collective dans 20 ans.

Regardez les créateurs dont le travail semble constamment définir les tendances, copié et référencé par d'autres. Le plus facile, c'est peut-être de regarder les "moments de mode" – des pièces qui semblent omniprésentes, inévitables. La collection 'Pink PP' de Pierpaolo Piccioli en 2022 a été remarquable – j'ai acheté un manteau de cette collection, et j'ai réalisé que même l'étiquette intérieure Valentino a été recolorée dans cette teinte choquante. C'est un défilé qui sera gravé dans l’histoire de la maison. Il en va de même pour la collaboration entre Gucci et Balenciaga, produit du mandat d'Alessandro Michele à la première et, peut-être, l'apogée des fusions de mode qui ont caractérisé le dernier demi-siècle (bien que je n'aie pris qu'un sac). Et d'un autre côté, parlant de singularité absolue, les récentes collections Miu Miu de Miuccia Prada - en particulier le pull court, la chemise boutonnée et la jupe chino coupée de la collection printemps/été 2022 – ont résonné comme aucune autre. Elles ont même inspiré des costumes d'Halloween en 2021, infiltrant la culture populaire d'une manière que la mode parvient rarement à faire. J'ai acheté l'une de ces pièces et je l'ai mise dans une boîte pour la postérité, car je sais que dans une décennie, ce sera la pièce que les musées demanderont si je la possède.

Il y a aussi ces créateurs dont la conviction esthétique les rend exceptionnels. Ghesquière, naturellement – son contrat chez Louis Vuitton vient juste d'être prolongé, et il a multiplié les ventes de leur prêt-à-porter par cinq au cours de la dernière décennie. Ses vêtements seront toujours collectables. Les créations de Demna chez Balenciaga sont exceptionnelles. Rick Owens, pour moi, est un nom dont l'influence sur le paysage du prêt-à-porter contemporain a été profonde. Sa vision est extrême, singulière même, ce qui peut parfois masquer le fait que la veste en cuir lavée et froissée de Rick Owens est la veste Chanel de notre époque – comme ces contrefaçons de Chanel qui proliféraient dans les années 60, la sienne est un style sans cesse copié qui, néanmoins, est immédiatement et indéfiniment identifiable comme étant la sienne. Ces pièces valent la peine d'être collectées pour être portées – mais de même, les changements saisonniers de silhouette et de fabrication d'Owens sont des pièces de musée de l'avenir. Le fait que John Galliano soit une passion pour moi n'est pas un secret, et cela s'étend évidemment à son passage chez Maison Margiela. C'est quelque chose que j'achète pour le porter, mais aussi pour garder – un trench pour moi, la robe de soirée en tulle portée dessous pour l'archive.

Cela se lie également à l'idée de comment collectionner les pièces modernes, avec un œil sur l'avenir. Les tenues complètes sont mieux que les morceaux et pièces (vous serez toujours en train de chercher les autres composants dans le futur), donc j'achète souvent des pièces que j'ai l'intention de porter et je les complète ensuite avec les composants supplémentaires : j'ai acheté un de ces blazers à épaulettes Saint Laurent par Anthony Vaccarello pour le porter, mais je prends aussi la jupe, le débardeur en jersey avec décolleté profond, les talons fins.

D'un autre côté, peut-être est-il préférable d'ignorer tout ce qui précède et simplement de suivre votre instinct. Plus que tout, achetez ce que vous aimez. C'est ce dont vous serez heureux d'avoir dans vingt ans.